
Je n'aurais jamais lu
Point de côté (
Stock), le livre de Josyane Savigneau, si je ne la connaissais pas. Ou peut-être dans 10 ans, un été, au hasard de mes trouvailles dans la bibliothèque de mes beaux-parents. Parce que les autobiographies, de même que l'autofiction, me gonflent. Les gens qui racontent leur vie m'ennuient. C'est l'hôpital qui se moque de la charité, me direz-vous, parce que je fais quoi d'autre, sur ce blog, que de raconter ma vie? C'est exact, ça démontre juste, une fois de plus, que je suis pleine de contradictions.
J'ai donc lu
Point de côté parce que je connais Josyane Savigneau — elle a longtemps été la chef de ma
mère au
Monde des Livres et, moins longtemps et plus récemment, celle (pas exactement mais c'est pour faire bref, pour une fois) de MyLove. J'ai lu et j'ai aimé. D'abord parce qu'elle écrit super bien. C'est peut-être naïf comme remarque, puisque je l'ai lue, beaucoup, dans
Le Monde, mais on n'écrit pas de la même façon un article et un livre, qui n'est pas juste un “livre de journaliste”. Là, elle a la place de laisser s'épanouir sa plume, et c'est un bonheur. Elle parle du
Monde, bien sûr, mais pas trop; des attaques dont elle a fait l'objet au fil des années, avec beaucoup de dignité, sans tomber dans la rancœur, ce qui pourtant aurait été humain; et beaucoup d'elle-même, et finalement, c'est ça, le plus intéressant, j'en suis la première surprise (cf mes réserves sur les autobiographies au début de ce message). Son enfance à Châtellerault, du
“mauvais côté du pont”, sa découverte de Simone de Beauvoir, son émerveillement pour New York, et plus tard,
Le Monde, les rencontres avec, entre autres, Philippe Sollers (une amitié qui lui a été tellement reprochée que c'est à se demander pourquoi, à part dans le milieu de l'édition et de la critique littéraire, tout le monde s'en bat le coquillard avec une patte d'alligator femelle), Philip Roth, Marguerite Yourcenar, Eudora Welty, Françoise Sagan, Hector Bianciotti, Edwige Feuillère et, bien sûr, Juliette Gréco.
J'ai été hallucinée par l'interview dans
Têtu — et ce n'est pas (juste) parce que j'ai quitté ce journal en plein désamour. Après une intro trop longue et tendancieuse, les questions ne portent quasiment que sur les amours de Savigneau, ou plus précisément sur avec qui elle a baisé ou non. J'ai longtemps essayé de convaincre des lectrices potentielles, mais pas seulement, que
Têtu n'était pas un journal de cul, mais finalement, peut-être que si, par moments. Est-ce que Josyane Savigneau a couché avec Juliette Gréco? Bien sûr on se pose la question, on aime tous les ragots, mais le plus amusant, c'est de se poser la question, la réponse n'a pas d'importance. Honnêtement, si elle répondait “Oui”, ça changerait quelque chose à votre vie?
Ce qui compte le plus pour moi, ce n'est pas de faire rentrer Jo dans une case, d'autant que comme me le répétait mon amie Karla à l'époque de mes études à Glasgow (elle s'était donné le rôle d'
ersatzmutter vis-à-vis de moi, ce qui pour une gamine larguée en plein coming-out est une chance incroyable), rien n'est définitif. Même moi, en couple depuis 14 ans avec MyLove, je ne peux pas préjuger de l'avenir, même si j'ai une bonne idée de ce que j'aimerais qu'il soit. Mais on ne peut jamais être sûr de rien, je rencontrerai peut-être une femme, voire un homme, dans 20 ans qui fera basculer ma vie. J'espère que non, parce que j'aime trop ma vie telle qu'elle est, avec MyLove, MyLittleLove et notre jolie famille réinventée, mais on ne sait jamais. Bref, Jo n'entre pas dans les cases. Elle n'est pas hétéro à 100%, elle n'est pas non plus lesbienne à 100% et je ne suis même pas convaincue qu'elle se voit bisexuelle.
Ce qui m'intéresse en revanche, c'est qu'elle ait l'impression que si elle avait fait un coming-out de lesbienne clair et ferme, elle aurait été mieux protégée contre les attaques. Parce qu'elle aurait fait partie d'une communauté. Non seulement je pense qu'elle a raison, mais cela me pousse à me demander si ma communauté, justement, la communauté homo au sens large, ne devrait pas s'interroger sur son rôle et ses devoirs lorsque l'un des siens a besoin d'être entouré, fût-il à la marge. Ne sommes-nous pas justement une communauté de gens (que ce mot est laid, il faut que je trouve mieux la prochaine fois) à la marge, hors normes? Un gay patenté épouse une femme et nous crions à l'homophobie intériorisée. Qui existe, c'est clair, mais parfois un gay tombe juste amoureux d'une femme. Certains trouvent aussi que Bertrand Delanoë n'est pas assez gay parce qu'il n'est pas aussi extraverti que son homologue berlinois Klaus Wowereit. On en revient aussi à la
question du coming-out, ou du non coming-out, des célébrités. Et si c'était juste une question de caractère? C'est grave, docteur? Nous nous plaignons — généralement à juste titre — du rejet dont nous faisons l'objet en tant que lesbienne, gay, bi, trans, queer en tous genres, mais sommes-nous vraiment plus ouverts, plus accueillants? Une communauté, c'est comme une famille: on n'est pas obligés de tous s'aimer, mais quand l'un des membres patauge dans la mélasse, il doit pouvoir compter sur les autres. Et non, ce n'est pas une métaphore pour parler de la crise financière actuelle.
Point de côté, de Josyane Savigneau (Stock). En librairie le 2 octobre 2008.